Mainstream butterfly

Depuis que la rave est devenue mainstream

Une dernière danse avec la tech-house : playlist

Depuis que la rave est devenue mainstream, je suis d’humeur mélancolique. J’écoute le dernier album de Romy, exaltée par sa candeur et simplicité de sentiments. Happée par ses babillements baléariques ou pendue à ses révélations claires comme de l’eau de roche; la musique électronique me parle de sentiments et j’aime ça.

Mon retour à la musique commerciale avait commencé le jour de l’open-air organisé par les Électros de Quiberon, petit festival de Bretagne qui nous avait séduit par l’idée de danser sur la plage, au camping des Sables Blancs.

18h :

Du vent dans les ailes et dans les pédales, nous arrivons au camping. L’eau est basse sur plusieurs kilomètres, les passants n’arrivent à s’immerger qu’au dessus des chevilles. Ils passent sur une scène qui brille comme comme des écailles de poissons. Le ciel est légèrement voilé, les pins et les camping cars ajoutent une poésie folle à l’ensemble.

19h :

Les basses des enceintes commencent à retentir, ce ne sont pas des Funktion One et il va falloir s’en rapprocher. Quelques campeurs et deux ou trois personnes là par hasard sont assis.e.s aux tables du “Ty snack”, cerclé de pins. Le spot est presque vide. 

C’est Man-R aux platines et j’ai l’impression que cette tech-house évidente et immédiate ne colle pas forcément au moment où l’on mange des chips. C’est l’heure de s’aérer l’esprit, de prendre un verre ravigotant ou de lire son journal au frais pour les gens en vacances qui, j’imagine, ne seraient pas contre quelque chose de plus calme.

Je dois dire qu’à n’importe quelle heure j’ai énormément de mal avec le genre tech-house qui semble aujourd’hui régner en maître sur la musique électronique mainstream. 

La tech-house a connu sa véritable heure de gloire entre Ibiza et Berlin dans les années 2010, et qu’à cette époque elle en était ma principale porte d’accès. Elle était également associée avec d’autres sous-genres plus underground, notamment la minimale.

Bien que dominée par la même troupe de mecs blancs, elle s’inscrivait alors en opposition à la house commerciale qui vivait un gros boom avec David Guetta et consorts. À quelques kilomètres sur la même île, le club Amnesia invitait Sven Väth, père de la hard trance et ancien propriétaire de l’Omen à Francfort à faire venir mixer les DJs de son label Cocoon Recordings. Sans aller jusqu’à parler d’une opposition underground vs mainstream entre le Pacha et Ibiza (les soirées Cocoon n’avaient lieu qu’un jour par semaine), il semble que Sven Väth participait à ce moment au développement d’une scène qui flirtait avec la culture club populaire et underground à la fois.

Ricardo Villalobos, What you Say Is More That I Can Say, Alcachofa, Playhouse, 2003

À cette époque, une des caractéristiques de la tech-house est l’introduction de vocaux autotunés ou filtrés, trainards comme s’il s’agissait de plaintes interminables. C’est comme si seule la métronomie du rythme pouvait apporter une issue à ces dernières, comme dans ce morceau1 de Ricardo Villalobos, membre de Cocoon Recordings.

Tout en nous submergeant de paroles mélancoliques, la tech-house est une mise en abîme de l’environnement autour de la fête. Dans “What You Say Is More Than I Can Say”, les basses cognent tout en étant étouffées, ce qui nous fait nous tenir à l’écart, comme si on était à quelques mètres de la porte du club ce qui provoque un un désir de rentrer mais aussi une appréhension, celle de ne pas rentrer. Surtout, le filtre appliqué sur les éléments percussifs permet d’isoler la complainte :

La musique électronique qui se reflète sur elle-même est le premier élément nouveau. De plus, l’ »effet narcisse » est amplifié par les paroles qui se réfèrent uniquement au sujet.

Dans les derniers moments vocaux de la techno qui datent des années 1990, ces derniers sont régulièrement des paroles émancipatrices, qui ont trait au collectif ou au moins à la jouissance procurée par la musique et la communion par la danse. On peut citer comme exemple le sample funky de “Happiness Is Just Around The Bend” du groupe de la Motown Cuba Gooding dans le titre rave “Aftermath” de Nightmares on Wax (1990), le gimmick élévateur du tranceux “The Spirit Makes You Move”de Arpegiattors, ou les samples politiques de MC jamaïcains dans « Radio Babylon » de Meat Beat Manifesto.

Sans volonté aucune de changer le monde, la tech-house tire son intérêt dans sa représentation inédite du DJ romantique et maudit. C’est le retour de la rock-star qui fascine, qui nous fait danser tout en essayant de nous faire flancher.

Basti Grub & Komaton, “Sick” Cocoon Compilation J, Cocoon Recordings, 2010

À trop se regarder le nombril, la fête techno ressasse ses démons et sombre dans la dépression.
Dans “Sick” de Basti Grub et Komaton, la tonalité mineure et la voix fragmentée qui se dissout au moment du drop, un moment sensé être élévateur semblent dire l’impossibilité de se vider la tête même dans un scénario salvateur.

C’est aussi au moment du drop que les dérapages contrôlés du kick qui ponctuaient invariablement la basse sur les temps forts de la mesure se mettent à rebondir comme de la pâte tout autour des beats ce qui donne un effet grumeleux. Niveau froideur, on flirte dangereusement avec la simplification de l’histoire du DJ déchet accroc aux drogues qui sera celle de Paul Kalkbrenner. Mais ici le décalage rythmique comme une aspérité assumée nous contient à l’abri de la pression du monde extérieur. Comme à l’intérieur d’un marchand de Köfte l’hiver embué et réconfortant. 

DJ T featuring Nick Maurer, “Burning”, Get Physical, 2011

Toujours en Allemagne, le label Get Physical se fait remarquer avec ses compilations « Full Body Workout », un programme qui résume assez bien la mentalité du genre : le dépassement de soi, accompagné par une obligation de productivité. Pourtant, à ses manettes, DJ T, nous livre en 2011 ce qui est peut-être une des plus fines réalisations du genre, tout en déséquilibre. Le triolet au clavier s’étends avant d’enchaîner, ses claps sautillants nous donnent la perspective d’un envol, rabattu en vitesse par des basses caverneuses. C’est comme si chaque élément du rythme et de la mélodie avait été muri par des effets pour leur donner jus et fondant. Des fruits sucrés prêts à cueillir à l’arbre et au goût addictif.

Something has happened
Something that I can not explain 
Burning on the inside
Burning while standing in the rain

Le morceau nous amène tout droit vers le burn-out. Typiquement, cela se passe sans qu’on le remarque trop absorbé.e par ses voix aguicheuses, son timbre funky.

Art Department, “Without You”, Crosstown Rebels, 2011

Du côté anglo-saxon, le duo canadien hyper-prolifique Art Department semble lui aussi bien décidé à faire un écho à l’expérience du club. Au lieu de laisser la mélancolie pour plus tard et de célébrer un élan mystique collectif il commence par une petite plongée dans le mal-être avant de nous en libérer par un de ses fameux drops vengeurs. La voix est plus naturelle, on est dans la complaisance de la fuite en avant énoncée pendant tout le morceau.

I just can’t
No I just can’t
Make it without you
I don’t know what to do 
Without you

On peut sentir la camaraderie des débuts, un peu comme celle des films de Danny Boyle s’en échapper et le genre se dissoudre dans l’EDM.2

Benoit and Sergio, Walk and Talk, Vision Quest, 2011

La même année, le duo franco-américain Benoit and Sergio sort ce qui aurait peut-être du rester le dernier morceau de tech-house. Il démange sans se prendre au sérieux, c’est un son fringuant, sportif sur le plaisir de mener sa vie comme on l’entend.

My baby does K all day 
She doesn’t wash her hair
Doesn’t wash her clothes
Just sits on the couch and watches television show
My baby does K all day

Sorti sur le label allemand Vision Quest, le morceau doit peut-être son aura comique à Tobias Freud qui est en charge du mixage. Membre du duo techno-expérimental Atom ™ & Tobias il est connu pour ses lives expérimentaux.

Tant que son combo sexe + dépression survivait et arrivait à produire du groove la tech-house avait une chance de proliférer auprès de son public de mâles blancs. Après 2011, la scène se dilue, ses itérations les plus intéressantes se transfèrent du côté de l’indie pop ou de la disco. (Voir en 2012 “Strange Love” de Pillow Talk ou le remix de Kasper Bjorke “Deep is Breath” du même groupe.)

Trois explications à cette dilution :

1 – Sans l’ouverture à d’autres genres (dont la pop et l’expérimental) la tech-house se replie sur elle même. Si certaines itérations peuvent en fait apporter un point de vue interne immersif et sensuel, le genre finit par se répéter et se perdre dans son reflet.

2 – Le problème c’est que l’électro est devenu un lifestyle au même titre que le yoga. Comme chez les « frat-boys » qui ne vivent qu’à travers un statut, les foules l’acceptent pour la place et l’opportunité qu’elle leur donne dans la société, mais pas forcément pour revendiquer leur adhérence à une culture ou sortir d’un carcan qu’il soit social ou psychologique. 

La musique électronique est bel et bien devenu une marque, elle doit répondre à des objectifs qui sont principalement : faire danser et faire rester les gens et d’un troisième en bonus qui est de les photographier afin de présenter des résultats tangibles aux objectifs de marketing et de rendement.

Ou comme le dirait “CuddleFishMusic” sur une conversation Reddit d’il y a trois mois, répondant à la question : “Can someone explain to me how gen Z fall in love with tech house” :
— “Social media is the answer to your questions. Tech house is easily digestible to the masses, can rework practically any pop song, and fits the « frat boy » lifestyle pretty well”.

20h :

Devant les sets de Man-R et de Wally aux Électros de Quiberon je ressens plutôt comme une démangeaison type bestiole qui gratte à cause de la sur-présence de hi-hats et leur frénétisme constant. Des accords de synthés apportent la mélodie comme pour s’excuser de l’insuffisance du rythme qui, s’il était plus intéressant, pourrait être l’unique fil rouge.

3 – C’est comme si le modèle tech-house n’était pas flexible et devait tous nous contenir dans ses rythmes pré-définis de façon hasardeuse, ou “randomisée”, du terme qu’on utilise dans les logiciels de production pour créer un beat de manière aléatoire. “Randomisation” est un terme utilisé peut-plus largement en médecine pour définir un test qui étudie les effets d’un traitement sur un groupe de personne dans le but de les comparer ensuite. Cette idée de beats médicaux contrôlés aléatoirement pour correspondre au biorythme du plus grand nombre sent direct le roussi. Et de fait on nous sort toujours les mêmes sons stériles. 

Alors on danse, porté.e.s par une motivation à peu près aussi intense que si on se retrouvait pour l’heure de la soupe. Le problème de ce mode pilotage automatique dans lequel nous plonge des live d’électro-soupe, c’est qu’on se retrouve dans une triste dilution de la scène électronique dans le mainstream. Ce problème n’est donc pas réservé qu’à des gros festivals ou des grandes salles de club mais aussi à des petites structures naissantes telles que les Electros de Quiberon qu’on penserait moins dépendantes de rendements financiers qu’un festival de Las Vegas. 

21h :

Assis en face, un couple adopte la bonne attitude en commençant à mimer les voix psy-trance qui viennent apporter du mouvement dans ce mix trop sec. Une bande nous demande s’ils peuvent s’asseoir avec nous “Ça peut être marrant”. Ils sont du coin et commencent à nous parler sorties en bateau sur les îles, voiles, pêches et teufs. Ils ont planqué une Soundboks dans les bois à quelque centaines de mètres et nous préviennent qu’il y aura after.

Un remix surdosé en phaser d’”Only You” tombe au moment même où un de nos acolytes me montre des vidéos de bancs de dauphins qu’il a photographiés au petit matin et je me dis que finalement la musique colle pas mal au moment présent. 

Il faut dire que c’est les vacances et qu’on est au camping. Avec cette bande et ces spots lumineux sur les pins, il y a dans l’air quelque chose de diablement adolescent, comme un relent de Danny Boyle.

22h :

Nous avons commencé à nous rapprocher du DJ pour danser. Une équipe plus jeune veut nous échanger du poppers contre deux feuilles longues. 

23h :

La musique s’arrête une heure avant la fin programmée car trop de campeurs se sont plaint (et je les comprends) et on annonce l’after dans le bois. 

Sur place, pas de lumières et un fond de whisky coca. Nous le poserons sur un tronc à l’horizontal aux côtés de l’enceinte. Ça commence à dégénérer sur le plan de la musique. Nous parvenons à intercaler Pelada, “No Hay La Solution”. Le morceau marche bien mais sinon la musique que nous mettons est jugée trop molle par la bande. 

— “Ça c’est bien à 2 heures quand on sera tout.e.s arraché.e.s.”

L’énergie est très forte et les sons qu’ils mettent ressemblent à du Avicci…. Je suis perdue.

— “Enfin bon, une rave” m’avait dit un de nos acolytes, “on mets de la musique, on est entre copains”.

J’en avais déduis qu’ils ne se prennent pas sérieux. Mais alors que frustré.e.s par le son nous commençons à nous en aller le plus jeune me dit, la voix pleine d’émotions :  

— “Tu assistes au début d’un grand truc”. 

Bon, les désaccords musicaux dans la musique électronique ne devraient pas précipiter son extinction. Mais n’oublions pas que la rave est basée sur la communion. La co-existence de l’underground et du mainstream doit peut-être exister pour ne pas que s’éteigne complètement le premier.

S’il vous plaît continuons d’envoyer du son dans les bois car au moins il s’agit de nos propres systèmes et pas de ceux qu’on nous impose. Mais faisons-le vraiment.

  1. La version dont il s’agit est à écouter sur YouTube ↩︎
  2. EDM : “Electronic Dance music” est le nouveau nom de la musique électronique trouvé aux États-Unis. Elle aurait été rebaptisé ainsi pour les besoins de sa distribution massive. ↩︎

Traduit en anglais par DeepL avec TranslatePress